In Bulletin spécial, Société Internationale Marguerite Duras, à paraitre
Vingt ans après sa mort, Marguerite
Duras est passée dans la culture. Ce dont il y a toute raison de se
réjouir. Désormais, il ne serait plus nécessaire pour elle de se
mettre de côté pour trouver une place. Désormais, tout en ayant sa
place particulière, elle est membre à part entière du grand
aréopage des auteurs pour longtemps, sinon pour toujours !
D'abord elle est devenue lisible alors qu'à une époque beaucoup avaient du mal à la lire, et puis tout ce qu’elle a écrit est maintenant globalement accepté.
Plus que cela, elle est considérée comme une auteure « bien » dont les écrits le sont pareillement, « bien ». Même sur les télévisions, dès que son nom est cité un intérêt favorable se marque.
Il y a toutes les raisons de s'en réjouir. Même s'il n'en était pas ainsi de son vivant, en tout cas aux yeux de ceux qui attendent de la bonne littérature à mettre sur tous les rayons des étagères. Elle était en effet un peu à l’image de son statut de semi-clandestine qui était le sien à Trouville, alors que depuis sa mort cette ville lui fait la fête tous les ans pour des journées spéciales !
Bien sûr il y a toujours des irréductibles, gardiens de la ''vraie'' littérature qui estiment qu'elle n'en est pas et n'en sera jamais. A ces assertions hostiles, je réagis chaque fois de façon féroce pour la défendre. Ils sont certes de plus en plus minoritaires et l'on voit bien qu'en fait ils ne la comprennent pas. Certains finissent d'ailleurs par franchir le pas et se mettent à la lire et à la découvrir.
Il y a aussi des critiques qu'elle énerve. Mais ce qui les énerve chez Duras, c'est justement la littérature. Oui, si elle continue de les énerver, c'est parce que ses écrits relèvent sans faille de la littérature.
La littérature, c'est tout ce qui sort
de l'ordinarité, autant d’écriture que de propos. Dans la
présente actualité littéraire qui est souvent scénarios, pitchs
et ''bonnes'' histoires, on soulignera avec malice ce côté de la
littérature chez Duras qui est sa présence première par
l’écriture.
En revanche, ce qui ne passe toujours pas, c'est le fameux SUBLIME, FORCÉMENT SUBLIME CHRISTINE V. comme je l'ai constaté lors d’une soirée l'an dernier à la Maison de la poésie à Paris. A la simple évocation de l'affaire du petit Grégory, de quoi s'était mêlée Duras, le public unanime, pourtant des fans durassiens, avait exprimé un rejet toujours aussi fort de ce qui ne pouvait avoir été qu'un moment d’égarement.
En vrai, il ne lui est pas pardonné de s’être prononcée sur cette affaire.
On reproche aux écrivains de s'occuper de ce qui ne les regarde pas. Or on croit que « ça » ne les regarde pas, la politique, l'économie, les faits spéciaux, alors que tout les regarde. Oui mais quand même elle n’aurait pas dû aller enquêter sur place, ni écrire ce qu'elle ressentait. Ni parler de l'amour de la mère qui parfois peut être mortifère.
Si elle s'est trompée dans le cas précis, il arrive que des mères tuent leurs enfants ou le fantasment au moins.
Après la publication de son texte dans Libération,
Duras s'était retrouvée très seule. Elle se sentait en danger, menacée. Au point de me demander d'écrire une lettre pour la défendre moi qui n'avait pourtant aucun poid médiatique.
Je trouvais ce texte « gonflé » parce qu'il introduisait un niveau de conscience auquel généralement on ne recourt pas pour traiter de ce genre d'affaires. Tout ce qui touche les rapports mère/enfant étant régi par une voûte de préjugés bien pensants.
Je me souviens seulement d'avoir parlé de Médée dans la lettre.
Restent deux paradoxes à souligner.
D’abord que ce titre magnifique est mémorisé positivement par tout le monde au-delà du rejet de l'intervention de Duras dans cette « affaire ».
Ensuite que ce titre arrive d'une façon inattendue autant qu'extraordinaire, en chute d'un texte extrêmement fort qui ne le contient pas. Sauf précisément à la dernière ligne : « Christine V. est sublime. Forcément sublime ».
C'est peut-être l'un des textes les plus forts en termes politiques et littéraires de Marguerite Duras, qui concentre me semble-t-il tout de ses obsessions ou de sa pensée, en tout cas de son écriture.
Alors, de l'élan stupéfiant de ce
texte (avant-dernière ligne : « reléguées dans la
matérialité de la matière »), on peut affirmer que ce qui
l'emporte chez Duras, 20 ans après sa disparition, ce n'est pas un
statut de témoin majeur de son temp mais celui d'une témoin de tous
les temps.
JPC
à paraitre