Il cherchait à me faire dire pourquoi j'écrivais, sans vouloir le
demander directement. Il voulait que je m'explique sur ce qui fait que
j'écris, et surtout que je continue d'écrire...
-Vous n'avez jamais eu la tentation d'abandonner, il me demande?...
-Quand on est embarqué dans un mouvement d'écriture, comme je le suis depuis des années, on ne se pose pas cette question.
-Est-ce que vous comprenez que je vous pose cette question?
-... Sans doute, oui, vous me la posez parce que je ne suis pas diffusé
par les majors?... Mais mes livres sont tous disponibles sur le net et
dans les bonnes librairies locales... Et puis vous le savez que je ne
fais partie d'aucun circuit...
Non, abandonner n'a jamais été une question pour moi, car l'écriture
accroit la réalité, elle augmente les possibilités de vivre, je
n'imagine pas que je m'en priverais...
Pourquoi en effet me priverais-je de quelque chose qui illumine et
amplifie la vie? Ecrire est ce qui ajoute, développe du plus...
L'écriture fait partie de ma vie, elle la conforte, elle permet même de
l'inventer.
Il n' y a donc pas pour moi à choisir entre écrire et vivre comme
disait Duras. Il ne s'agit cependant pas de vivre pour écrire mais d'en
passer par une écriture de vie.
D'ailleurs, écrire pour vivre serait presque plus juste que vivre pour
écrire, non pas parce que l'écriture serait une forme de thérapie,
mais parce qu'elle apporte de la compréhension et/ou de la lucidité...
-Il me dit que c'est bien que je m'explique, parce que sinon... quand on voit comment j'écris...
-Je pensais que Le pont d'Algeciras était facile à lire, il ne l'est
peut-être pas pour tout le monde... Je réponds que je n'ai fait
qu'appliquer les règles d'orthographe conseillées par l'académie
française, celles résultant de la réforme de 1990 (que d'ailleurs le
dictionnaire Robert vient d'intégrer pour partie dans son édition
2009)...
-Non, il dit, ce n'est pas une question d'orthographe... je parle de la
structure de la phrase... Vous cherchez à inventer une langue?...
Là je comprends que ce qui est clair pour moi ne l'est pas pour lui.
Que la forme de pensée que j'exprime à travers une manière de langue ne
lui est pas familière, voire même inconnue. Comment lui dire justement
que si j'en suis à inventer une langue, c'est pour raconter le
temps que nous vivons...
-Je lance: De toute façon je ne suis pas romancier, même si j'écris des romans.
C'est vrai, je n'ai pas toujours revendiqué le mot roman, il ne
figurait pas en couverture de mes livres précédents. Désormais je le
revendique dans sa signification première qui désignait ces
compositions écrites non plus en latin mais en langue romane.
J'ai le sentiment en effet de ne plus écrire en langue classique
mais dans une langue qui s'inspire de la langue la plus vivante
d'aujourdhui, oui qui se nourrit de cette langue qui est parlée à
longueur de temps par la plupart des locuteurs...
-On ne parle pas comme dans les livres?
-Non, c'est clair que non... Par exemple, on ne raconte jamais ses
vacances ou bien une histoire d'amour au passé simple... Il n'y a que
les lettrés pour se servir de l'imparfait du subjonctif avec en plus
une accentuation ridicule...
Et puis dans la langue vivante on se libére de différentes formes
considérées comme orthodoxes qui sont en réalité sexistes, machistes,
discriminatoires etc. En tout cas qui sont carrément fermées à
des concepts contemporains...
.... Oui, construire une langue qui s'enrichit de cette langue
vivante en même temps qu'elle l'enrichit... écrire une langue
vivante qui intègre l'accroissement des possibilités de la réalité
présente...
Les fins d'entretien laissent place à la répétition.
Ou bien aux questionnements:
Cette fois il n'a pas vraiment parlé du livre, comment aurait-il pu en
parler? Impossible de transformer le fond du livre en sujet de
société...
Le pont d'Algeciras ne passerait pas par la grille habituelle de lecture?
30/09/2008 tous droits réservés / texte reproductible sur demande / m.a j. 05 /10/2008