Une information récente prédisait que le
français sera l'une des langues les plus parlées dans le monde en 2050,
notamment en raison de l’accroissement de la population de l'Afrique
francophone.
Même si tous les habitants de ces Etats ne sont pas francophones, c'est
une bonne nouvelle qui compense la baisse régulière du pourcentage
d’étudiants étrangers apprenant le français.
Cette bonne nouvelle est cependant à pondérer du fait que nous avons à
affronter depuis quelques années une américanisation proliférante de la
langue courante en France.
En témoigne l'écrivain Serge Doubrovsky, de retour à Paris après 30 ans passés à New York, qui ne
reconnait plus le français qu'il pratiquait à son départ et constate,
comme nous pouvons tous le faire, qu'il est de plus en plus truffé de
mots américains.
Bien sûr, les emprunts aux autres langues est une constante de
l’histoire des langues mais, en l’occurrence, ce recours croissant à
l'anglais-américain signifie qu'on ne crée plus de mots nouveaux en
français puisque, en réalité, on utilise des mots anglais ou d’origine
anglaise pour en créer de nouveaux.
Plus grave encore, comme cause ou conséquence, ces emprunts révèlent
qu'on n'invente plus de concepts en français contemporain.
Car pour que se créent des concepts
dans une langue il faut qu'il y ait une propension à créer des mots. Il
faut une pratique régulière du néologisme, ce qui n'est pas le cas en
France où l'habitude est plutôt de s’en excuser. Il faut en outre que
cette langue capte et intègre les novations de notre temp.
Ainsi est-il urgent de se demander si on défend vraiment le français en
le défendant bec et ongles tel qu'il est censé être depuis des siècles,
c'est à dire dans des formes et des règles correspondant à des logiques
qui ont de moins en moins cours dans nos vies, voire plus du tout pour
la nouvelle génération.
Défendre le français aujourd’hui impliquerait au contraire de l’ouvrir
aux logiques contemporaines, par exemple en poursuivant plus
audacieusement la démarche entreprise avec Les rectifications de
l'orthographe de 1990, de sorte de provoquer un regain d’intérêt
pour notre langue chez les étudiants étrangers, et aussi chez nos
enfants pour qui bon nombre de règles de grammaire sont
incompréhensibles.
Ces rectifications de 1990 figurent
désormais en option dans le dictionnaire de l’Académie française.
Hélas, elles ne sont toujours pas enseignées par l'éducation nationale
alors qu'elles sont admises aux examens au Québec depuis plusieurs
années.
Mais pourquoi promouvoir une nouvelle orthographe?
Il est courant d'entendre dire que des ingénieur.e.s sortant de grandes
écoles font des fautes d’orthographe. Il y a même une manière devenue
cliché de s'en lamenter pour assurer que là encore tout fout le
camp !
Il faut pourtant considérer que ces ingénieur.e.s sont en réalité
imprégné.e.s de logiques formelles auxquelles ne résistent pas les
logiques incertaines de l’étymologie et/ou de l'usage des siècles.
Prenons l'exemple de « quelque temps ». Pour la logique
formelle il y a une erreur car un terme est au singulier et l'autre
porte la marque du pluriel. Mais écrire « quelques temps » (comme cela
se fait de plus en plus malgré la vigilance des correcteurs) ne rend
pas compte de l'indétermination du temps. Tandis qu'il serait correct à
l'égard des logiques contemporaines d'écrire quelque temp, les deux
termes sans « s » puisqu'au singulier.
Pourquoi alors ne pas supprimer aussi le « p » de temps,
objectera-t-on, si on supprime le « s » latin de
tempus ? Et bien parce que ce « p » est conservé dans
les dérivations du mot : temporel, temporairement etc. Ce qui est
d’ailleurs également vrai pour corp, corporel, corporation, et du coup
autoriserait à écrire le corp, des corps...
Prenons le cas de la féminisation des noms de fonctions à laquelle
beaucoup de « défenseurs » de la langue s'étaient
vigoureusement opposés et qui s'impose depuis les années 2000 dans
auteure, professeure, ingénieure, chercheure, entrepreneure et dans
bien d'autres mots. Et aussi dans Madame la Ministre ou la Maire de
Paris et, au Québec, il y a peu, c'était Madame la Première Ministre.
L'Académie française conserve néanmoins l'intitulé « Madame le
secrétaire perpétuel » en raison d'une logique du neutre renvoyant
à des périodes historiques qui n’étaient d’évidence pas féministes.
Défendre la langue aujourd'hui
impliquerait une grande réforme des règles générales du français qui,
en l’ouvrant aux logiques contemporaines, privilégierait l'information
et non l'étymologie. Par exemple, par une généralisation du "s" au
singulier et du "non s" au pluriel (y compris à la place du
« x »), du "e" au féminin et du "non e" au masculin, une
réduction des accents qui ne se prononcent plus, un traitement des
cédilles, des "oe" qui passent mal en numérique etc.
Ce serait une réforme à réaliser avec les pays francophones, tout comme
le Portugal l'a fait avec le Brésil et l'Angola, par "un accord
orthographique de la langue portugaise".
Certains y verront une entreprise de destruction du français, il s'agit
tout au contraire de faire vivre la base magnifique de son élaboration
séculaire pour que notre langue continue d'inventer des mots français.
1/9/2014 tous droits réservés / texte reproductible sur demande / m.à j. 6/10/2014