Il faudrait désormais se présenter
négativement et dire « Je ne suis pas un anti-moderne ». Car se
revendiquer moderne ou oser un « il faut être moderne », relève de
l'arrêt de mort immédiat, quand même ce serait une référence à
Rimbaud.
Au mieux, cela conduit à n'avoir aucun écho puisque c'est faire
partie d'une espèce en voie de disparition, au moins dans les
médias. Contrairement aux anti-modernes dont la parole est devenue
omniprésente, d'autant plus que Michel Houellebecq en est devenu
le chef de file déclaré.
Et s'ils ont disparu des médias, ceux qui ne sont pas
anti-modernes, c'est selon cet homme tout simplement parce
qu'ils sont mauvais.
Qui aurait encore l'outrecuidance de se dire moderne? Qui pourrait encore croire au progrès de nos
jours, avance t-il en forme d'argument ? Qui donc en réalité aurait l'audace
de penser autrement que ce Houellebecq à la vie plate et triste qui se
croit choyé par une divinité pour écrire des livres parmi les
livres français les plus vendus dans le monde ?
Bien que Houellebecq répète, en mimant la sincérité, qu'il n'émet
pas de jugements et ne fait qu'écrire les peurs qu'il ressent
autour de lui, il est bel et bien engagé dans un combat
anti-moderne.
Ainsi de ses diverses déclarations
peut-on retenir qu'il est contre la civilisation, la pensée des lumières, le
progrès, le féminisme, la libération apportée par internet et le
numérique...
Et comprendre que son sujet c'est «Ecrire ce que les
gens ont dans la tête ».
A la lecture de ses premiers livres, j'avais plutôt pensé qu'il avait
seulement le cynisme de dire ce que hélas beaucoup de gens voulait
entendre, même si ce n'était pas très correct.
Je croyais donc qu'il osait
écrire au second degré ce que, de son point de vue, le
politiquement correct ne permettait pas de dire sur l'Islam, la
femme musulmane, les valeurs progressistes, les droits de l'homme,
la libération des femmes.
Or c'est bien du premier degré dont il s'agit, sachant
qu’il met en avant des croyances et des peurs dont beaucoup ont
justement été installées dans la tête des gens par des
anti-modernes comme lui qui les distillent à longueur d'année dans des
livres ou émissions de radio-télévision. Libérant de la sorte des
tendances toujours prêtes à être réanimées, en particulier chez
les populations sous pression de la misère, avec l'aide
bienveillante de l'extrême droite.
Écrire ce qu'il y dans la tête des gens, c'est reproduire ce que
tout le monde dit. Par conséquent, c'est manipuler des clichés
efficaces, tel celui-ci très répandu : "Avec tous ces moyens de
communication, on ne communique plus" ! Il est d'ailleurs possible de ne pas communiquer
davantage aujourd'hui que dans un village français des années
1950, avec un téléphone intelligent dans sa poche, mais à condition de ne pas s'en servir...
On en est donc à revendiquer de ne pas être anti-moderne pour se
révolter contre la prétention de Houellebecq d'écrire ce que
les gens ont dans la tête, comme si tous les gens avaient dans la
tête ce qu'il écrit ! Pour refuser cette manière d’embarquer tout le
monde dans sa vision négative : «Depuis les attentats de Charlie
Hebdo, plus personne ne croit que les choses puissent
s'arranger; et, pire, plus personne ne le souhaite».
Or
les gens en moyenne sont bien moins anti-modernes que Houellebecq et
ses collègues. Tout le monde ou presque est d'une certaine façon pour
le progrès, par exemple pour les appareils moins encombrants et plus
efficients, les machines à laver qui font moins de bruit, de meilleures
lentilles de vue, des voitures qui consomment peu, des plantes
résistantes à la sécheresse etc. Et pour un accès toujours plus facile
au savoir et à l'information.
Beaucoup peuvent concevoir que limiter les émissions des gaz à
effet de serre c'est être moderne, ne serait-ce que parce que
certaines pratiques du passé étaient polluantes, y compris les
feux de bois. Et parce que les énergies fossiles sont sans
avenir tandis que l'énergie solaire n'a pas de fin prévisible
à échelle humaine.
Regretter qu'on ne soit pas encore capable de stocker la chaleur
des jours d'été caniculaires pour nous chauffer l'hiver, c'est
appeler à un progrès technique pour le faire.
Il faut se rendre compte que les jeunes de la génération «Y»
entendent depuis la maternelle que le monde va droit dans le mur,
que le présent est affreux, le futur catastrophique. Et aussi que les
ordinateurs et autres tablettes ou téléphones dont ils usent et
parfois abusent sont dangereux, alors que ces jeunes gens en
retirent un confort de vie, voire un plaisir d'être. Et même une
avancée mentale et intellectuelle que nombre de leurs parents
adultes ne semblent pas comprendre, sauf à leur opposer des
raisonnements abscons et inadaptés.
Être anti-moderne est un courant philosophique et politique devenu
oppressant. Le journal Le Monde avait justement souligné l’élection à
l’Académie française de Alain Finkielkraut par ce titre : « Un
anti-moderne à l’Académie ».
C'est un courant intellectuel qui ne s’embarrasse pas des données
réelles parce qu'il exprime fondamentalement le rejet de l'espoir
de civilisation.
Il ne servirait à rien d'avancer que le nombre des victimes des
catastrophes du passé était d'une toute autre ampleur qu'aujourd'hui.
L'unité de mesure des victimes des guerres, famines, épidémies,
jusqu'au cours du 20e siècle, c'est la centaine de milliers, quand
celle des conflits d'aujourd'hui, des catastrophes industrielles, de ce
qui est appelé le désastre moderne, même horribles, sont plutôt de
l'ordre du millier...
Pas davantage de
souligner que la mortalité infantile a été réduite de moitié
depuis 1990 etc.
Tout comme ses collègues anti-modernes, Houellebecq est sur une
pente qui conduit à l’extrémisme de droite, ne vient-il pas de se
déclarer probablement islamophobe?
Retenons l'explication qu'il a donnée de son dernier livre « C'est l'échec
de ma tentative de conversion au catholicisme ». Ce qui fait tout
de même assez « Troisième république », à la mode même pas Chanel
mais Claudel.
Sauf que lui s'était converti !