Jean Pierre Ceton
Ecrivain (writer, escritor) de langue française, auteur de romans (novels, novelas), textes, dialogues, récits ...
Dirige la revue littéraire en ligne lettreaulecteur.com
romans

LETTRE AU LECTEUR 19

Le rire sarcastique de l'évidence passéiste //

De plus en plus souvent, des auteurs laissent entendre qu’ils ne comprennent pas le monde dans lequel ils vivent… Si tant est qu’ils y vivent et non dans le passé… De plus en plus également, ils ponctuent leurs assertions d’un rire de certitude.
Ainsi l’un d’eux pense expliquer les événements de ce début du 21e siècle, ère chrétienne, en réunissant bout à bout des phrases choc des fables de La Fontaine. Et il en rit d’un rire étrange d'évidence.
Un autre reconnait que la problématique de la croyance qu’il décrit dans ces livres n’existe plus du tout aujourdhui. Ajoutant aussitôt qu’on ne peut pas dire que cet aujourdhui ait apporté quoi que ce soit d’important à la civilisation, il termine par un rire sarcastique de l’évidence d’avoir raison. A savoir que si cette problématique n’existe plus c’est que le monde contemporain a tort et non lui qui persiste à développer cette problématique, ce qui pourtant l’empêche d'en formuler une autre. Alors il réarme son rire en recherche de la complicité de l'autre.
Considérons le cas du dramaturge britannique, Edward Bond, chouchou des metteurs en scène français, notamment parce qu’il dénonce la barbarie moderne. «Notre plus grand problème, déclarait-il récemment, est que nous n’avons aucun moyen pour décrire notre situation, nous n’avons pas le langage, (ni) les concepts pour le faire…» Sans le rire, mais dans le contentement de l'assertion.
C’est pourtant avouer qu’il ne parvient pas à inventer un langage qui lui permettrait de décrypter notre monde et peut-être de le comprendre. Alors pourquoi passe-t-il son temps à dénoncer la barbarie, c'est si facile, il y en a tant, il y en a eu tellement, y compris d’innombrables qu’on ne peut plus concevoir ou se représenter, qui cependant paraissaient totalement normales, voire naturelles… Que n’invente-t-il ce langage qui manque, puisqu’il est écrivain, c’est à dire créateur de langage. Que ne capte-t-il ces concepts contemporains qui surgissent chaque jour davantage, ce qui lui assurerait de contrer par le même temps les barbaries toujours possibles, sans occulter le courage et l’ardeur nécessaires pour vivre (dans) ce monde.
En fin de colloque, un metteur en scène n’en peut plus de vouloir dire sa vérité au public, finalement il se met à lire un extrait d’un livre de Virilio "dévoilant" l’origine militaro-américaine d’internet (1). Lu d’une voix forte avec modulation d’insistance sur les passages les plus probants selon lui. Puis survient en chute un rire sarcastique d’évidence signifiant qu'internet est fondamentalement mauvais. Et qu’en fait tous les gens qui se servent d’internet ne comprennent pas qu’ils se sont fait avoir par les militaires américains…
Bien d’autres, baignant dans l’histoire du passé, après avoir mené des analyses qu’ils croient rigoureuses, après avoir fait de nombreuses références aux auteurs grecs de l’antiquité et tout autant aux philosophes allemands des 18e et 19e siècle, après avoir moqué des tas de nouveaux concepts qui tapissent l’actualité, donnent l'impression étrange de se rendre compte qu'il y a quelque chose de ce monde qu'ils ne comprennent pas.
Sûrement pour cela, que verrouillés par des convictions obtuses, ils déclenchent en défense ce rire sarcastique de l’évidence passéiste.
A bien l’observer ce rire est angoissant, car il est sectaire.
Même plus, il est angoissant car dans l’expression de la certitude évidente d’avoir raison, il est en réalité arboré par tous les intégristes de la Terre.

(1) il a en fait été developpé par les scientifiques du CERN


31/07/03 / tous droits réservés / texte reproductible sur demande 22/10/2008


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