Il existe une courbure inutile du français de ce début du 21e siècle
qui se perçoit bien si l'on considère le mode d'élaboration -par
accumulation et sédimentation- de notre langue tout le long de son
histoire. La langue contemporaine porte ainsi une grande quantité
d'archaïsmes, d'irrégularités et d'anomalies se révélant être autant de
complications inappropriées.
Car cette courbure qui s’installe telle une discipline supplémentaire à
l'apprentissage de la langue, a pour grand inconvénient d'en accroitre
la difficulté et d'en détourner les étrangers. Il faut ajouter qu’elle
accentue de plus en plus le divorce entre l’écrit et la langue parlée.
Alors que le français s'efface inexorablement devant l'anglais,
beaucoup persistent cependant à penser qu'il ne faut rien toucher à la
langue, préférant claironner à tous vents qu'on ne la parle plus
correctement ou qu'elle n'est plus bien enseignée ou encore qu'on
n'utilise même plus de syntaxe!
En réalité le français continue logiquement de s'élaborer et pourrait
d'ailleurs s'élaborer bien davantage s'il n'était bloqué par
les académistes et aussi par les défenseurs de la langue qui
croient sincèrement la défendre de cette façon.
Or il parait se vérifier que plus on s'arqueboute sur une défense
pointilleuse de la langue et plus on l'enfonce vers le naufrage. En
témoigne le bilan d'années de défense de la langue française pourtant
promue par différents organismes ayant budget et pignon sur rue.
De fait, même si la francophonie s'est développée et malgré la vitalité
de la langue en Afrique et au Québec, le français n'a cessé de reculer
en Europe et dans sa cour intérieure également. Ainsi peut-on voir
fleurir dans les rues des villes de France de plus en plus
d'inscriptions rédigées en anglais.
Beaucoup plus grave est cette pratique à laquelle on semble prendre
goût, d'exprimer en anglais le dernier concept en vogue qu'ensuite on
traduit doctement, comme pour indiquer qu'il tient la route en anglais
et pas en français. Il se trouve que cela se dit à Bruxelles ou
ailleurs que les nouveaux concepts ne se créent plus en français.
Or c'est l'autre grand inconvénient de cette courbure inutile que
d'éloigner la langue française de son statut de langue créatrice de
concepts. Une langue corsetée par des formes désuètes ou anachroniques
ne peut facilement donner vie à des contenus contemporains. Pour
produire de nouveaux concepts, il faut qu'une langue puisse abandonner
des règles ou des formes anciennes et en inventer de nouvelles d'une
manière quasi naturelle.
Chacun peut saisir l’urgence, sinon l’intérêt d’une large réflexion à
ce sujet sachant les ennuis que nous apportent les complications de
notre langue dans l’usage d’internet, avec les oe entrelacés, les
cédilles ou les accents qui ne passent pas, il suffit de citer
l’adresse de l’Académie : « www.academiefrancaise.fr » pour s’en
convaincre.
En tout cas si l'on veut vraiment défendre le français, donc espérer
qu'il reste une des 4 ou 5 langues de référence et qu'il soit à nouveau
choisi comme langue étrangère d'étude par les étudiants des quatre
coins du monde, il faut s'attaquer à cette courbure inutile.
Il s'agit alors de faire surgir un français libéré de nombre
d'irrégularités et d'illogismes qui chargent inutilement son
enseignement. Au fond de le rendre clair, transparent, logique et
compréhensible dans ses règles de fonctionnement.
On voit qu'il y a ici un gouffre à franchir qui sépare le plaisir de
disséquer les caprices tortueux d'une langue historique et
l'enthousiasme à utiliser une langue décryptant avec simplicité le
monde présent.
Pour cela il faudrait reprendre la réforme de 1990 qui a été si peu
appliquée, voire ignorée par les dictionnaires des traitements de texte
par exemple. Il faudrait amplifier ces rectifications de l'orthographe
afin de parvenir à une véritable transformation de fond, comme l'avait
été la réforme de 1835, de sorte de provoquer un nouvel intérêt
international pour la langue autant qu'une nouvelle passion des
Français et des francophones envers leur langue.
Il faudrait oser intégrer beaucoup de créations spontanées à propos
desquelles on dit généralement que cela ne se dit pas en français, pour
la raison en réalité que cela ne se dit pas encore.
Devra-t-on aller jusqu'à opter systématiquement pour des formes
régulières et logiques, mais qui nous écorchent d'avance les oreilles,
donc atteindre des audaces cauchemaresques (sic), ainsi revenir sur la
réforme de Malherbe en optant pour l'invariabilité du participe passé
utilisé avec l'auxiliaire avoir, échanger des s avec z ou des g avec j,
voire adopter le principe radical selon lequel toutes les lettres
doivent se prononcer sinon elles ont vocation à disparaitre?
On devrait en tout premier lieu privilégier les formes les plus simples
et les formes nouvelles surtout, dès lors qu'elles sont logiques.
Reste cette question de savoir pourquoi on accepte si difficilement de
modifier la langue alors que l'on transforme tout, les lois et les
rites, les règles de la physique et de l'astronomie, les principes de
la neurobiologie et même de la linguistique. Peut-être parce que la
langue est l'item le plus proche du mental ?
15/04/2005
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m.a j. 14/12/2014