LETTRE AU LECTEUR 24
Aller / Ne pas aller contre son époque //
La solitude de l'écrivain, qui n'est plus à démontrer, s'installe dans
toutes ses dimensions lorsque celui-ci se place à contre-courant de son
époque. Mais pourquoi le ferait-il?
Parce qu'écrire c'est être mis en demeure de lucidité, c'est être
confronté à la pensée tant l'écrit provoque de la pensée et vice et
versa.
Et en quoi le faire?
En ne reproduisant pas les clichés de l'époque, au contraire en les
décryptant et en les dénonçant. De fait, en s'écartant du courant
majoritaire de certitudes.
Car l'hypermédiatisation, autant que le vieux fond cancanier humain,
conduit à mettre en valeur chaque fois et dans tous domaines les prises
de positions les plus spectaculaires, pourtant souvent fausses ou
inexactes, mais aussi les plus populistes, nostalgiques,
catastrophistes et mortifères (ainsi qu'en témoignent les titres de
presse ou bien de librairie). De sorte qu'elles apparaissent comme
conducteures de l'époque, constituant même une référence médiane de ce
que peut être l'époque.
Ainsi se poser à l'encontre de ce panel d'opinions dominantes revient à
aller contre son époque.
D'un autre côté, épouser les stéréotypes, certitudes et autre
entêtements de l'époque, c'est ne pas découvrir ce qu'elle peut avoir
de spécifique. Ainsi, la plupart des collègues qui ont fustigé -et
continue de le faire- les éléments de leur temp tels que les téléphones
portables, les ordinateurs, internet etc... sont allés avec le
vent majoritaire mais contre une tendance de fond d'une toute autre
ampleur.
Il n'est donc pas simple de savoir si on va ou pas contre ou avec son
époque.
En revanche il est aisé de savoir si on se situe dans ou hors une
certaine doxa officielle parce qu'il est très difficile de la
contrer, en tout cas quand on est dans le système même. Il y règne en
effet partout une énorme pression pour confirmer les dogmes admis.
Pourquoi n'es-tu pas tendance? me demandait-on quand des gens se
révoltaient contre le fameux politiquement correct, perçu comme un
ordre de penser de façon correcte alors qu'il s'agissait à l'origine de
ne plus dire noirs mais afro-américains, comme aujourd'hui on pourrait
dire africain-français ou afro-européens, de ne plus écrire gonzesse
mais femme etc....
Là où je me sens le plus à contre-courant...
Je crois que le temps n'est plus à l'écriture du desespoir, même s'il
conserve tout son attrait romantique, mais à l'écriture du monde, à
l'invention de la vie... au travail de vie.
Si je m'enlise dans une discussion à force de m'opposer à la doxa
officielle, alors je dégaine d'un grand éclat de rire ma phrase fétiche
: de toute façon, le monde ne fait que commencer!
10/03/06 /
tous droits réservés / texte reproductible sur
demande /
m. à j. 23/10/08
accueil lettre au lecteur