Jean Pierre Ceton
romans

LETTRE AU LECTEUR 25

La liberté de l'écrivain: inventer le narrateur //

Excès d'orgueil de l'écrivain ?
A propos de "Petit homme chéri" , je me suis surpris à dire si je veux, à répondre que oui, bien sûr s'il le voulait lui ou plutôt si je le voulais moi...

Mais pourquoi tenez-vous à nous faire croire que c'est un roman si c'est un récit? / Mais parce que c'est du romanesque, oui de la fiction... La fiction d'une certaine façon invente le monde, en particulier quand la réalité est pauvre ou répliquée ou fermée.
Pour s'inventer de la biographie? / Non, pour inventer de la réalité, en l'occurrence parce que il n'y a pas assez d'éléments sûrs de réalité pour pouvoir se la représenter. 
Entre le monde de 1914-18 et notre monde, le lien est faible, ce sont des mondes devenus étrangers l'un à l'autre, au point que ce monde-là nous est désormais irrepresentable. On ne peut plus se le représenter d'une façon raisonnable. Ce pourquoi seule la fiction permet d'en rendre compte...
Je prétends que développer la fiction permet davantage d'être dans le monde d'aujourdhui qu'en rendant compte fidèlement des faits et événements. D'abord parce que c'est une entreprise presque impossible, ensuite parce qu'elle implique le plus souvent de colporter en même temps une vision idéologique et anachronique...
Et pourquoi tenez-vous à nous faire croire que l'histoire n'est pas celle de l'auteur mais qu'elle concerne le narrateur? / La liberté de l'auteur, c'est d'inventer le narrateur...
Dès lors que sont posés les éléments générateurs du récit (ici les cartes postales comme correspondances croisées), le narrateur prend le relai de l'auteur dans une liberté que celui-ci n'aurait pas forcément...
Ce livre n'est pas de la biographie directe... Il s'agissait bien pour moi d'opter pour le romanesque...
Ce qui m'intéresse, c'est le "dérapage" idéologique que j'opère, de sorte de provoquer l'émergence d'intelligence...

Je travaille sur le temps présent / Oui mais là vous êtes passé par la guerre 1914-18...
Je fais prédominer le point de vue d'aujourdhui sur cette guerre-là, et même un point de vue possible à venir...
En plus des personnages des cartes postales, je mets en scène des narrateurs dans leur univers d'aujourdhui et les installe dans un voyage mental de liberté.

Je ne suis pas intéressé par la mise en valeur de ce que l’homme aurait perdu ni ce qu’il aurait en moins, s’il a en moins -non d’ailleurs, pas forcément- depuis que le monde a tellement changé...
En 1914, des masses de gens étaient capables de hurler pour la guerre tandis que désormais des masses de gens se prononcent contre la guerre...
Mon discours vise à capter ce que peut être l'homme maintenant qu'il dispose de nouvelles perspectives, à l'image de celles du net qui ouvre un espace supplémentaire d'ampleur gigantesque par rapport à la donne analogique.

Ce qui m'arrive, c'est la conscience que si on ne retient pas ce discours-là, on ne vit pas ce temps ni ses possibilités. Et qu'on peut même au final en être malheureux.
Récemment, pour décrire des changements notables pour l'humain, un philosophe utilisait la formule du "moins"... Oui il y a moins de famines, moins de maladies, moins de morts sur les routes etc... Ce qui est pourtant objectivement du plus!

Oui je suis bien davantage porté vers ce que l'humain a gagné, vers tout ce qu'il a en plus désormais.
Du coup je me rends compte soudainement que pour cette raison, ce que j'écris n’est pas familier, ne correspond pas, n’entre pas dsn le cadre, n’en est pas…
Aussi suis-je souvent obligé de me cacher un peu, de ne même pas pouvoir corriger des bêtises que j'entends.
Il m'est parfois impossible de dire non, seulement: ah oui? vous croyez vraiment? ...


21/06/2007 / tous droits réservés / texte reproductible sur demande / m.à j.  3/11/2015

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