Jean Pierre Ceton
romans

LETTRE AU LECTEUR 26

Madame la ou le ministre ? //

Illustration d'une attitude psycho-rigide très répandue en matière de langue, la nouvelle ministre de l'économie ne veut pas être appelée Madame la ministre mais Madame le ministre. A vrai dire c'est sa liberté, elle peut même plus ou moins imposer ce choix autour d'elle, cependant seul l'usage parait en décider.
Ainsi la féminisation de noms de fonctions par le e féminin est majoritairement entrée dans la pratique au delà des combats d'arrière-garde des académiciens et des différentes résistances, y compris féminines. La plupart des femmes concernées préfèrent désormais être nommées auteure, professeure, ingénieure ou docteure et non par le masculin de ces mots ni par d'anciens mots féminins comme docteresse. On voit bien la force de cette féminisation à travers l'exemple de la fonction sportive d'entraineur. Au féminin, entraineure ne porte pas à confusion, comme le ferait entraineuse, tandis qu'un Madame l'entraineur pousserait directement à utiliser l'anglicisme coach.
L'argument de la ministre est que sa mère, agrégée de grammaire, lui a toujours dit qu'il ne faudrait pas qu'elle soit Madame la mais Madame le ministre...
On pourrait aisément lui rétorquer que sa grand-mère ou bien l'une de ses arrières-grands-mères aurait pu lui dire que ministre n'était pas un métier de femme ou encore que les femmes ne devaient pas porter de pantalon ni parler sans qu'elles y soient invitées.
Il est surprenant qu'en période annoncée et promue de rupture politique ce type de conservatisme remonte à la façon d'une certitude d'évidence. D'autant plus qu'une étude récente a mis en lumière une baisse du niveau de l'orthographe qui devrait pourtant poser question. Car plus qu'une simple baisse de niveau général comme veulent le voir les conservateurs, il se pourrait qu'elle soit le résultat d'une intransigeance aboutissant à maintenir des formes archaïques au-delà de toute mesure.
On analyserait alors cette baisse généralisée du niveau de l'orthographe comme la conséquence d'un conflit de repères entre les logiques rationnelles dont les enfants et étudiants sont maintenant gavés et la logique faible de l'orthographe qui finit par leur passer au-dessus de la tête.
En effet, contrairement aux nouvelles logiques (mathématiques, scientifiques ou informatiques) celle-ci est basée sur une culture de l'exception, la règle étant posée pour faire place aux nombreuses exceptions. De plus, en opposition encore à ces logiques devenues omniprésentes dans la vie quotidienne, notre orthographie étymologique érige en principe la priorité donnée à la forme ancienne. Est-ce que cela peut-se dire en français? telle est la question qui survient dès que l'invention le dispute à l'académisme. Et puisque ça se disait ou s'écrivait comme cela, on doit persister à le faire et non dire ou écrire ceci qui pourtant correspondrait mieux à l'usage présent.
Cette rigidité imposée à la langue courante l'empêche en réalité d'avoir toutes les ressources nécessaires pour exprimer le monde contemporain.
C'est pourquoi s'il y a vraiment rupture politique, ce devrait être une période particulièrement propice à la mise en oeuvre d'une grande révision de notre langue comme cela est arrivé une ou deux fois par siècle, à peu près.
L'objectif étant de rationaliser l'ensemble des règles grammaticales, en transgressant les plus archaïques, donc de les rendre logiques et générales autant qu'il est possible, et du coup ouvertes à l'intégration de l'usage.
Pour éviter des difficultés d'adaptation autant que des bagarres inutiles, on laisserait cohabiter règles nouvelles et règles anciennes, un peu à la manière de clé ou clef. Et finalement à la manière de Madame la ou le ministre... de sorte que le jeu revienne à l'expérience et à la pratique, en définitive aux acteurs que sont tous les parlants et écrivants de cette langue.
Il faut se rendre compte que cela apporterait un grand soulagement à la plupart des élèves qui s'en sortent vaille que vaille, et surtout une véritable bouée de sauvetage aux élèves en perdition pour qui le français et ses règles souvent incompréhensibles constituent soit une forme de sélection soit un barrage quasi impossible à surmonter.
Ce serait en outre une occasion formidable de dynamiser notre langue française dont les bizarreries et les complications orthographiques expliquent en partie son recul dans le monde.

09/07/2007 / tous droits réservés / texte reproductible sur demande / m. à j.  31/08/2007

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