LETTRE AU LECTEUR 27
Impossibilité d'une réforme du français ? //
Alors qu'à peu près tous les spécialistes de la question et une bonne
minorité d'enseignants sont favorables à une réforme de la langue
française, il faut bien admettre que cette réforme apparait tout
bonnement impossible.
D'abord la langue est comme si elle n'avait pas de fond, pas de bases
sûres, tout son terrain est incertain, seulement fait de conventions,
d'accumulations, de formations par l'erreur etc. Par conséquent chaque
modification en entrainerait d'autres et d'autres encore, sans jamais
espérer atteindre un stade logique satisfaisant, même en-deçà d'une
sorte de mathématisation de la langue dont parlait Derrida. Donc, sans
parvenir à une transformation accordée à aujourdhui d'une langue
qui resterait inspirée et inspirante.
Ensuite, les différentes entreprises contemporaines de conservation de
la langue, fondées ou pas sur de bonnes intentions, freinent sa
modification spontanée ou sa transformation par l'usage, donc empêchent
d'envisager une réforme d'ampleur faute de pouvoir s'appuyer sur une
dynamique déjà existante.
Par ailleurs, il existe une résistance souterraine dans tous les
milieux, quel que soit le niveau d'éducation, qui s'oppose presque
sectairement à toute modification, amélioration, logicisation de la
langue, ce que l'on doit peut-être expliquer par le fait que la
langue finirait par être le seul repère fixe de notre temp.
En effet la plupart des lois sont changées régulièrement, beaucoup sont
abrogées, certaines carrément inversées. Même les religions s'adaptent
au temp, les rituels et les traditions sont revisitées, la langue non.
Ou bien très peu si l'on considère que la petite réforme de 1990 n'a
pas vraiment été appliquée jusqu'alors.
On notera néanmoins que les données de cette réforme, humblement nommée
«les rectifications de l'orthographe française», sont intégrées par
certains dictionnaires français sur le net, en particulier par celui
qui accompagne le navigateur Firefox. (1)
Enfin, presque tous de l'élite de ce pays, en particulier du milieu
universitaire, semblent avoir besoin d'une langue fixée, stable, quasi
éternelle ou immuable, pour défendre leurs convictions, développer
leurs thèses, établir leurs recherches, quand bien même cela implique
une démarche conservatrice. Car les connaissances récentes ont du mal à
figurer dans la langue, par exemple les concepts contemporains de temp
ou de parité n'y sont pas, ceci pour répondre à un fameux linguiste
plein de tics qui répète à tous vents qu'on n'a jamais démontré que le
français n'était pas apte à exprimer le monde contemporain.
Cette langue quasi classique que ces gens de l'élite possèdent bien
-étant les seuls à la bien posséder- et qu'ils considérent alors comme
neutre -au-delà de toutes les mutations et transgressions- préférant
souvent, plutôt que mettre en cause leur langage, déplacer leur
révolte, s'ils en avaient l'impétuosité, vers de vieilles connivences
idéologiques, le marxisme par habitude ou l'un de ses derniers
avatars...
L'adaptation
de la langue à l'époque étant une question de survie pour cette langue,
peut-être suffirait-il d'accentuer la réforme de 1990 et d'en favoriser
l'usage. Puisqu'au fond seules des pratiques nouvelles, distillées ici
et là, introduites discrètement, peuvent influer sur une matière bien
trop difficile à manipuler...
(1) L'edition 2009 du Robert propose -presque 20 ans après- la double orthographe de 6000 mots sur 60000.
09/11/2007 / tous droits réservés / texte reproductible sur demande / m.a j. 21/3/2014
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