LETTRE AU LECTEUR 3
La nouvelle frontière de l’écrit //
Que vient donc faire un écrivain sur internet ?
Beaucoup d’amis écrivains m’opposent un regard d’incompréhension quand je leur parle de cette page où je propose régulièrement de nouveaux écrits.
Je sais que leur attitude s’explique par la peur de ce qu’ils appellent le débordement technologique autant que par une crainte de voir disparaitre le livre, mais aussi l’écrit et la culture qui va avec.
Pourtant quiconque va sur internet découvre tout de suite l’omniprésence de l’écrit, et non sa mise en cause par les nouvelles technologies.
Ainsi internet est-il un nouveau support de diffusion pour l’écrit. Et par conséquent un support différent de celui du livre, alors qu’il y a peu de temps encore cette séparation de l’écrit et du livre était absolument impossible à concevoir.
A travers cette séparation, l’écrit connait certainement sa plus grande révolution depuis qu’il existe.
Il est opportun de se rappeler que l’invention de l’écrit a désigné le début de l’Histoire, ou que l’Histoire est cette période récente de la vie sur Terre qui nait avec l’écriture.
C’était il y a plus de cinq mille ans en Mésopotamie, puis en Grèce. Peut-être ailleurs. Ensuite l’écrit a connu une longue période de pratique faible, peu répandue, en raison de l’incommodité des supports par exemple. Et aussi du très petit nombre de gens qui s’en préoccupaient, dont une majorité ne pratiquaient que la copie. Jusqu’au grand déclenchement de l’imprimerie.
Avec le recul, on comprend que l’écrit n’était pas quelque chose de naturel. Que son apparition a constitué un véritable sursaut mental. Un dépassement inouï, une novation formidable pour s’extirper du terrier mental.
A 2000 ans du calendrier grégorien, on n'a jamais autant écrit, ni imprimé, diffusé et lu de livres. En moyenne on lit peut-être moins de livres que les plus grands lecteurs du début du XXe siècle, en raison de la multiplication des activités possibles, mais il y a beaucoup plus de livres et beaucoup plus de lecteurs.
Le livre, support papier, va en toute probabilité continuer de se développer, et pas seulement parce que il n’est ni complètement facile ni vraiment agréable de lire sur écran.
Dans le même temps, l’écrit pourrait véritablement «exploser» sur le réseau électronique. On peut imaginer en effet que grâce à ses qualités propres, (immédiateté de transmission, système des liens etc. ) ce nouveau support provoque un réel foisonnement d’écriture. Et c’est peut-être là l’important, je veux dire le développement de l’écrit.
D’abord parce que cette nouvelle frontière de l’écrit se traduira nécessairement par une nouvelle frontière mentale.
Ensuite parce que le réseau électronique, support parallèle au livre, est aussi un support de liberté pour celui qui écrit. Puisqu'il permet de s’adresser directement aux lecteurs, c’est à dire à d’autres individus, sans passer par le filtre inévitable de l’édition et sa contrainte du soi-disant respect pour le public, dit «grand», au détriment souvent de l' <information>.
Dire cela, c’est exprimer la passion que j'éprouve pour l’écrit quel qu’en soit le support, tout autant pour l’écrit livre que pour l’écrit numérique.
Parce qu’écrire, c’est comprendre l’histoire des humains et des civilisations à travers la mémoire que porte la langue.
Parce qu’écrire c’est essentiellement nommer et donc produire de la réalité.
La nouvelle frontière de l’écrit, c’est l’invention du monde après l’Histoire.
19/06/1998 / tous droits réservés / textes reproductibles sur demande / m. à j. 13/11/2008
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