Le
souvenir de l'humeur joyeuse d'Antoine Doinel redescendant, dans
Baisers volés (1968),
d'une visite à une prostituée, à son retour du service militaire,
montre l'ampleur de la révolution que va déclencher la pénalisation
du client de la prostituée, si elle est votée par le parlement.
On dira que l'expérience a été menée en Suède et en Norvège. Mais la France n'est pas un pays scandinave, ni un pays très libéré
en termes de sexualité comme l'on dit que ces pays le sont.
Ce plan du film de François Truffaut illustre en tout cas une
époque où cette pratique n'était sûrement pas culpabilisée mais
au contraire vécue comme un service rendu à la société des
hommes.
Aujourd’hui l'objectif est l'abolition de la prostitution, de
sorte de mettre fin à une forme d'esclavage des femmes, puisqu'il
est question essentiellement des femmes. Et, pour y parvenir, de
sanctionner le client.
L'argument est qu'il faut agir sur la demande plutôt que sur
l'offre pour faire diminuer la prostitution, puisque la lutte contre
le proxénétisme ne semble pas suffire à l'éradiquer.
Il est vrai que sanctionner l’achat de services sexuels aboutit d'une certaine façon à l'interdiction de la prostitution. En effet, alors que les prostituées pourront à nouveau racoler les clients, ces derniers devront leur opposer un refus, à défaut d'être passible d'une amende de 1500 euros ou plus, ce qui est tout de même une somme rédhibitoire pour nombre de clients parmi les plus défavorisés des prostituées visibles.
On
ne peut pas croire cependant que les partisans de la sanction du
client veuillent en revenir à une sorte de répression de la
sexualité.
On
ne veut pas croire non plus qu'ils expriment là un rejet sinon une
haine de la sexualité masculine qui est répandue dans certains
milieux lesbiens. Même si la volonté de sanctionner pourrait
néanmoins relayer une méfiance de tous les instants chez beaucoup
de femmes qui en souffrent (le fameux devoir du mariage). Ou qui
gardent la mémoire historique d'en avoir souffert à travers les
engrossements à répétitions de toujours.
Même si
l'idéal serait bien sûr que les hommes et les femmes se rencontrent, en dehors de l’argent, dans la spontanéité du
désir, c'est une vision
petite-bourgeoise de croire que la libido masculine va s’annihiler
au prix de cette amende dissuasive. Et s'écouler sagement dans des
relations consenties hors de toutes formes de prostitution.
Pénaliser la demande pour réduire
l'offre, ne résout pas en effet ni la question du pourquoi de la
prostitution. Ni celle de la misère sexuelle et de la
frustration qu'elle engendre.
En tout cas, aller vers son abolition
ne doit pas signifier une marche arrière vers un interdit
sexuel.
Cette nouvelle loi impliquerait en conséquence une petite révolution des mœurs, au fond une nouvelle libération sexuelle dans ce pays. Une libération autre que celle des années 1960. Pas une libération pornographique. Une nouvelle liberté menant à ce que les relations sexuelles soient plus libres et plus habituelles. Au fond que la sexualité soit plus publique et plus sociale.
Et
puis, si la sexualité masculine se fait moins dominante, peut-être
faudrait-il que les femmes changent leur regard sur la sexualité, en
s'éloignant encore davantage de leur rôle historique, comme cela a
été engagé depuis la contraception.
La
plupart des femmes en sont toujours à se méfier de la sexualité
masculine, elles détournent le regard quand elles sont regardées,
certes bien moins qu'avant. Face
à l'insistance de la demande masculine, beaucoup de femmes opposent
un refus de faire l'amour, ce qui est leur droit bien sûr si elles
n'en ont pas l'envie, ou pas encore. Sauf s'il s'opère en raison de
l'ancien interdit de l'amour lié à au risque de faire un enfant.
Oui,
la pénalisation du client devrait s'accompagner de nouveaux
comportements sexuels autant chez les femmes que chez les hommes.
Ce
que ne peut sans doute pas déclencher l’État, sauf à alléger
diverses réglementations, par exemple afin que l'accès à des
hôtels ou autres lieux ad hoc soit facilité pour l'amour éphémère.
Que la loi soit finalement appliquée
ou non, ce que doit faire l'Etat et autres instances du pouvoir
national, régional et local, c'est favoriser en premier objectif une
société plus légère, plus festive et plus libre sur le sexe.
1/12/2013 tous droits réservés / texte reproductible sur demande / m. à j. 10/12/2013