Jean Pierre Ceton
romans

LETTRE AU LECTEUR 40

« Je ne suis pas un anti-moderne »

Il faudrait désormais se présenter négativement et dire « Je ne suis pas un anti-moderne ». Car se revendiquer moderne ou oser un « il faut être moderne », relève de l'arrêt de mort immédiat, quand même ce serait une référence à Rimbaud.
Au mieux, cela conduit à n'avoir aucun écho puisque c'est faire partie d'une espèce en voie de disparition, au moins dans les médias. Contrairement aux anti-modernes dont la parole est devenue omniprésente, d'autant plus que Michel Houellebecq en est devenu le chef de file déclaré.
Et s'ils ont disparu des médias, ceux qui ne sont pas anti-modernes, c'est selon cet homme tout simplement parce qu'ils sont mauvais.
Qui aurait encore l'outrecuidance de se dire moderne? Qui pourrait encore croire au progrès de nos jours, avance t-il en forme d'argument ? Qui donc en réalité aurait l'audace de penser autrement que ce
Houellebecq à la vie plate et triste qui se croit choyé par une divinité pour écrire des livres parmi les livres français les plus vendus dans le monde ?
Bien que Houellebecq répète, en mimant la sincérité, qu'il n'émet pas de jugements et ne fait qu'écrire les peurs qu'il ressent autour de lui, il est bel et bien engagé dans un combat anti-moderne.
Ainsi de ses diverses déclarations peut-on retenir qu'il est contre la civilisation, la pensée des lumières, le progrès, le féminisme, la libération apportée par internet et le numérique...
Et comprendre que son sujet c'est «Ecrire ce que les gens ont dans la tête ».
A la lecture de ses premiers livres, j'avais plutôt pensé qu'il avait seulement le cynisme de dire ce que hélas beaucoup de gens voulait entendre, même si ce n'était pas très correct.
Je croyais donc qu'il osait écrire au second degré ce que, de son point de vue, le politiquement correct ne permettait pas de dire sur l'Islam, la femme musulmane, les valeurs progressistes, les droits de l'homme, la libération des femmes.
Or c'est bien du premier degré dont il s'agit, sachant qu’il met en avant des croyances et des peurs dont beaucoup ont justement été installées dans la tête des gens par des anti-modernes comme lui qui les distillent à longueur d'année dans des livres ou émissions de radio-télévision. Libérant de la sorte des tendances toujours prêtes à être réanimées, en particulier chez les populations sous pression de la misère, avec l'aide bienveillante de l'extrême droite.
Écrire ce qu'il y dans la tête des gens, c'est reproduire ce que tout le monde dit. Par conséquent, c'est manipuler des clichés efficaces, tel celui-ci très répandu : "Avec tous ces moyens de communication, on ne communique plus" !  Il est d'ailleurs possible de ne pas communiquer davantage aujourd'hui que dans un village français des années 1950,
avec un téléphone intelligent dans sa poche, mais à condition de ne pas s'en servir...
On en est donc à revendiquer de ne pas être anti-moderne pour se révolter contre la prétention de Houellebecq d'écrire ce que les gens ont dans la tête, comme si tous les gens avaient dans la tête ce qu'il écrit ! Pour refuser cette manière d’embarquer tout le monde dans sa vision négative : «Depuis les attentats de Charlie Hebdo, plus personne ne croit que les choses puissent s'arranger; et, pire, plus personne ne le souhaite».
Or les gens en moyenne sont bien moins anti-modernes que Houellebecq et ses collègues. Tout le monde ou presque est d'une certaine façon pour le progrès, par exemple pour les appareils moins encombrants et plus efficients, les machines à laver qui font moins de bruit, de meilleures lentilles de vue, des voitures qui consomment peu, des plantes résistantes à la sécheresse etc. Et pour un accès toujours plus facile au savoir et à l'information.
Beaucoup peuvent concevoir que limiter les émissions des gaz à effet de serre c'est être moderne, ne serait-ce que parce que certaines pratiques du passé étaient polluantes, y compris les feux de bois. Et parce que les énergies fossiles sont sans avenir tandis que l'énergie solaire n'a pas de fin prévisible à échelle humaine.
Regretter qu'on ne soit pas encore capable de stocker la chaleur des jours d'été caniculaires pour nous chauffer l'hiver, c'est appeler à un progrès technique pour le faire.
Il faut se rendre compte que les jeunes de la génération «Y» entendent depuis la maternelle que le monde va droit dans le mur, que le présent est affreux, le futur catastrophique. Et aussi que les ordinateurs et autres tablettes ou téléphones dont ils usent et parfois abusent sont dangereux, alors que ces jeunes gens en retirent un confort de vie, voire un plaisir d'être. Et même une avancée mentale et intellectuelle que nombre de leurs parents adultes ne semblent pas comprendre, sauf à leur opposer des raisonnements abscons et inadaptés.
Être anti-moderne est un courant philosophique et politique devenu oppressant. Le journal Le Monde avait justement souligné l’élection à l’Académie française de Alain Finkielkraut par ce titre : « Un anti-moderne à l’Académie ».
C'est un courant intellectuel qui ne s’embarrasse pas des données réelles parce qu'il exprime fondamentalement le rejet de l'espoir de civilisation.
Il ne servirait à rien d'avancer que le nombre des victimes des catastrophes du passé était d'une toute autre ampleur qu'aujourd'hui. L'unité de mesure des victimes des guerres, famines, épidémies, jusqu'au cours du 20e siècle, c'est la centaine de milliers, quand celle des conflits d'aujourd'hui, des catastrophes industrielles, de ce qui est appelé le désastre moderne, même horribles, sont plutôt de l'ordre du millier...
Pas davantage de souligner que la mortalité infantile a été réduite de moitié depuis 1990 etc.
Tout comme ses collègues anti-modernes, Houellebecq est sur une pente qui conduit à l’extrémisme de droite, ne vient-il pas de se déclarer probablement islamophobe?
Retenons l'explication qu'il a donnée de son dernier livre « C'est l'échec de ma tentative de conversion au catholicisme ». Ce qui fait tout de même assez « Troisième république », à la mode même pas Chanel mais Claudel.
Sauf que lui s'était converti !



12/09/2015  tous droits réservés / texte reproductible sur demande / m.à j. 22/11/2015

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