Jean Pierre Ceton
romans

FICTIONS EN LIGNE

LE COUP DU PISTOLET

Comme seule réaction au spectacle que je venais de voir, j'ai dit: En fait je suis traumatisé par ce coup du pistolet...
Aurée m'a repris: Le coup de pistolet, Peter, on dit pas le coup du...
Oui, en effet il y avait eu un coup de pistolet juste avant le noir de fin de la pièce, j'avais entendu deux ou trois coups de feu.
Oui, j'y repensais hébété ou éberlué. Bizarre, faut le faire, un coup de pistolet dans un théâtre aujourdhui...

Nous restions à quelques-uns dans le hall d'entrée, presque tous les spectateurs étaient déjà partis. Une amie d'entre nous attendait un comédien qu'elle connaissait...
C'est vrai que je me sentais traumatisé. C'était incroyable. Je l'avais oublié oui, le coup de pistolet, je l'avais totalement occulté. Du coup j'ai re-raconté l'histoire à toute allure. Parce que je l'avais déjà racontée à Aurée.
Cette fois sans même prendre le temps de ménager le suspense.

... La première fois que je suis allé au théâtre, je crois, j'avais 3 ans et demi... Mais c'était pour jouer! Oh j'avais juste à dire « Maman maman maman! » Quoi? je devais appeler ma mère en criant trois fois « Maman »...

Puis, sans faire attention à ce qu'on me disait, j'ai lancé: En entendant le coup de pistolet tout à l'heure, le souvenir m'est revenu qu'il y avait justement un coup de pistolet à la fin de ce théâtre de mon enfance.

J'avais déjà raconté cette histoire à Aurée, que je devais crier Maman trois fois, mais pas le coup de pistolet, je n'en revenais pas. A vrai dire je ne m'en sortais pas. Sauf à parler encore de ce théâtre lointain.

... L'étonnant pour moi, c'est que ce n'était pas ma mère que je devais appeler. Non c'était une autre, plus jeune qu'elle, qui était comédienne donc, enfin qui jouait la comédie en l'occurrence, car je crois que dans la vie elle était femme au foyer.
Bien plus étonnant encore, plus troublant, c'est que au bout du 3ème cri «Maman», la jeune femme accourait vers moi et me soulevait des planches en me serrant dans ses bras. Avec une tellement grande douceur, avec tellement d'amour, que les larmes m'en venaient aux yeux. C'est ça, elle le faisait avec plus de douceur que ma mère à moi, avec plus d'amour passionné. Avec plus de transport, aurait dit Racine.

Notez qu'au moment précis où elle me soulevait dans ses bras, je n'avais évidemment aucun recul, c'est-à-dire, je ne me disais pas que cette jeune femme jouait la comédie, non je ressentais qu'elle m'aimait plus que ma mère.
Sans doute parce qu'elle jouait l'amour pour un enfant, au point que c'était plus vrai qu'en réalité.

En fait je l'avais déjà racontée à la belle Aurée cette histoire mais, je m'en rendais compte avec acuité, sans l'anecdote du pistolet, evidemment, puisque que je l'avais occultée. Je venais de redire ça, que c'était les coups de feu à la fin de la pièce qu'on venait de voir qui m'avaient fait resurgir ce souvenir.

D'ailleurs Aurée me l'a répété, non tu ne m'avais pas raconté cette histoire de coup de pistolet, Peter. Ou alors je ne me souviens pas...

Impossible belle Aurée, je n'avais jamais raconté cette histoire, à personne. Sauf à toi, mais sans le final des coups de feu....

-Tu as dû l'écrire, dans un de tes livres, forcément...
-Figure-toi que je crois bien que non. Ou alors je ne m'en souviens plus. En même temps, c'est comme si cette histoire ne m'avait jamais quittée.
-Et tu l'avais joué combien de fois cette saynète?
-Je n'en sais plus rien, quelques fois ... mais mon souvenir est unique... Remarque, j'ai lancé en plaisanterie, y pas de raison non plus d'en faire un fromage, comme tu dis toujours...
-Moi? Non, je ne dis jamais ça, Peter, ce doit être quelqu'un d'autre...
-Si si, je t'assure chaque fois qu'y a un petit problème tu dis ça, pas en faire un fromage, même que j'en ris dans la ma tête, je me dis, je sais bien qu'elle préfère le salé au sucré...
-Tu me la fais dithyrambique!
- Non non, même, je sais même que tu aimes le fromage de chèvre, et généralement il n'est pas sucré...
- Oui, enfin oui, j'aime le fromage de chèvre, mais pas plus que les autres fromages. Seulement parce que quand j'étais petite, l'été, j'allais en vacances chez ma grand-mère, dans la Creuse, et toujours au gouter elle me servait des tartines de pain au fromage de chèvre... D'ailleurs le plus souvent je la jetais la tartine avant de l'avoir terminée... Non c'est pas  vrai, j'affabule... Un peu comme toi surement, enfin... cette jeune mère comédienne surement qu'elle exprimait envers toi l'amour qu'elle aurait pu avoir pour un enfant...

- Oui, certainement... Déjà, c'est étonnant que ce coup de pistolet de la toute dernière seconde de cette pièce était comme dans les vieux théâtres... justement ça que j'avais oublié, un coup de pistolet de vieux théatre!
-Et tu ne sais pas pourquoi il y avait un coup de pistolet?
-Non, je ne m'en souviens plus... peut-être que j'ai jamais su vraiment... Ça pétait juste quand je sortais, dans les coulisses, et que là ma mère m'attendait, ma vraie mère... C'était un truc d'adultes, ça devait être une histoire à la Carmen, sauf que c'était le type qui tuait la femme, celle qui me serrait dans les bras...

-Et elle te plaisait la pièce?
-Non je l'ai trouvée très ringarde, réaliste, du vrai réalisme qui forcèment sonne faux, plus pauvre que la réalité...
-Peter, tu me parles de quoi?
-Ben de la pièce dont on vient juste de sortir... les décors étaient affreux, les acteurs ne faisaient que jouer... oui, ils étaient très bons, mais comme des sportifs qui courent dans les temps, quel que soit l'état de la piste!

-Moi je te parlais de la pièce de ton enfance...
-Ah oui... Bon, Aurée, imagine, c'était la première fois que j'allais au théâtre, j'aurais du mal à en parler davantage... Je visualise à peine le lieu, un petit peu, il me reste une vague trace d'émotion, et puis le bruit des coups de feu et... oui... je crois bien une odeur de poudre...

-En tout cas on peut dire que t'as commencé tôt au théâtre, et pourquoi tu n'as pas continué?
-Sais pas, parce que je suis allé à l'école, ou bien parce que le théâtre a fermé, ou parce que la comédienne est morte en vrai, ou bien ma mère ne voulait pas je fasse du théâtre, peut-être parce que ma voix a mué précocement et qu'y avait un décalage entre mon corps plutôt frêle et ma grosse voix... mon grand père ne voulait pas que je joue à cause des coups de feu... peut-être que j'ai tout bonnement encaissé que la comédie, c'était trop dangereux.

15/04/2010  tous droits réservés / texte reproductible sur demande / m. à  j. 21 /04/2010

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