Comme
seule réaction au spectacle que je venais de voir, j'ai dit:
En fait je suis traumatisé par ce coup du pistolet...
Aurée
m'a repris: Le coup de pistolet, Peter, on dit pas le coup du...
Oui,
en effet il y avait eu un coup de pistolet juste avant le noir de fin
de la pièce, j'avais entendu deux ou trois coups de feu.
Oui, j'y repensais hébété
ou éberlué. Bizarre, faut le faire, un coup de pistolet dans un
théâtre aujourdhui...
Nous restions à quelques-uns dans le
hall d'entrée, presque tous les spectateurs étaient
déjà partis. Une amie d'entre nous attendait un comédien qu'elle connaissait...
C'est
vrai que je me sentais traumatisé. C'était incroyable.
Je l'avais oublié oui, le coup de pistolet, je l'avais totalement occulté. Du
coup j'ai re-raconté l'histoire à toute allure. Parce
que je l'avais déjà racontée à Aurée.
Cette fois sans même prendre le temps de ménager le suspense.
... La
première fois que je suis allé au théâtre,
je crois, j'avais 3 ans et demi... Mais c'était pour jouer! Oh
j'avais juste à dire « Maman maman maman! » Quoi?
je devais appeler ma mère en criant trois fois « Maman
»...
Puis, sans faire attention à ce qu'on me disait, j'ai lancé: En entendant le coup de pistolet tout à
l'heure, le souvenir m'est revenu qu'il y avait justement un coup de
pistolet à la fin de ce théâtre de mon enfance.
J'avais déjà raconté cette histoire à Aurée, que je devais
crier Maman trois fois, mais pas le coup de pistolet, je n'en
revenais pas. A vrai dire je ne m'en sortais pas. Sauf à
parler encore de ce théâtre lointain.
...
L'étonnant pour moi, c'est que ce n'était pas ma mère
que je devais appeler. Non c'était une autre, plus jeune
qu'elle, qui était comédienne donc, enfin qui jouait la
comédie en l'occurrence, car je crois que dans la vie elle
était femme au foyer.
Bien plus étonnant encore,
plus troublant, c'est que au bout du 3ème cri «Maman»,
la jeune femme accourait vers moi et me soulevait des planches en me
serrant dans ses bras. Avec une tellement grande douceur, avec
tellement d'amour, que les larmes m'en venaient aux yeux. C'est ça,
elle le faisait avec plus de douceur que ma mère à moi,
avec plus d'amour passionné. Avec plus de transport, aurait
dit Racine.
Notez qu'au moment précis où
elle me soulevait dans ses bras, je n'avais évidemment aucun recul,
c'est-à-dire, je ne me disais pas que cette jeune femme jouait
la comédie, non je ressentais qu'elle m'aimait plus que ma
mère.
Sans doute parce
qu'elle jouait l'amour pour un enfant, au point que c'était
plus vrai qu'en réalité.
En fait je l'avais
déjà racontée à la belle Aurée
cette histoire mais, je m'en rendais compte avec acuité, sans
l'anecdote du pistolet, evidemment, puisque que je l'avais occultée. Je
venais de redire ça, que c'était les coups de feu à la fin
de la pièce qu'on venait de voir qui m'avaient fait resurgir ce
souvenir.
D'ailleurs Aurée me l'a répété, non tu ne m'avais pas raconté cette histoire de coup de pistolet, Peter. Ou alors je ne me souviens pas...
Impossible belle Aurée, je n'avais jamais raconté cette histoire, à personne. Sauf à
toi, mais sans le final des coups de feu....
-Tu as dû l'écrire,
dans un de tes livres, forcément...
-Figure-toi que je crois bien que non. Ou alors je ne m'en
souviens plus. En même temps, c'est comme si cette histoire ne
m'avait jamais quittée.
-Et tu l'avais joué
combien de fois cette saynète?
-Je n'en sais plus rien, quelques fois ... mais mon souvenir est unique... Remarque, j'ai lancé en plaisanterie, y pas de raison
non plus d'en faire un fromage, comme tu dis toujours...
-Moi? Non, je
ne dis jamais ça, Peter, ce doit être quelqu'un
d'autre...
-Si si, je t'assure chaque fois qu'y a un petit problème
tu dis ça, pas en faire un fromage, même que j'en ris
dans la ma tête, je me dis, je sais bien qu'elle préfère
le salé au sucré...
-Tu me la fais dithyrambique!
- Non non, même, je sais même que tu aimes le fromage de chèvre,
et généralement il n'est pas sucré...
-
Oui, enfin oui, j'aime le fromage de chèvre, mais pas plus que les
autres fromages. Seulement parce que quand j'étais
petite, l'été, j'allais en vacances chez ma grand-mère,
dans la Creuse, et toujours au gouter elle me servait des tartines de
pain au fromage de chèvre... D'ailleurs le plus souvent je la
jetais la tartine avant de l'avoir terminée... Non c'est pas
vrai, j'affabule... Un peu comme toi surement, enfin... cette jeune
mère comédienne surement qu'elle exprimait envers toi l'amour qu'elle
aurait pu avoir pour un enfant...
- Oui, certainement... Déjà, c'est étonnant que ce coup de
pistolet de la toute dernière seconde de cette pièce
était comme dans les vieux théâtres... justement
ça que j'avais oublié, un coup de pistolet de vieux théatre!
-Et tu ne sais pas pourquoi il y
avait un coup de pistolet?
-Non, je ne m'en
souviens plus... peut-être que j'ai jamais su vraiment... Ça
pétait juste quand je sortais, dans les coulisses, et que là
ma mère m'attendait, ma vraie mère... C'était un truc d'adultes,
ça devait être une histoire à la Carmen, sauf que
c'était le type qui tuait la femme, celle qui me
serrait dans les bras...
-Et elle te plaisait la pièce?
-Non je l'ai trouvée très ringarde, réaliste, du vrai
réalisme qui forcèment sonne faux, plus pauvre que la
réalité...
-Peter, tu me parles de quoi?
-Ben
de la pièce dont on vient juste de sortir... les
décors étaient affreux, les acteurs ne faisaient que
jouer... oui, ils
étaient très bons, mais comme des sportifs qui courent
dans les temps, quel que soit l'état de la piste!
-Moi je
te parlais de la pièce de ton enfance...
-Ah
oui... Bon, Aurée, imagine, c'était la première fois que j'allais au
théâtre, j'aurais du mal à en parler davantage...
Je visualise à peine le lieu, un petit peu, il me reste une vague trace d'émotion, et puis le bruit des coups de
feu et... oui... je crois bien une odeur de poudre...
-En
tout cas on peut dire que t'as commencé tôt au
théâtre, et pourquoi tu n'as pas continué?
-Sais
pas, parce que je suis allé à l'école, ou bien
parce que le théâtre a fermé, ou parce que la
comédienne est morte en vrai, ou bien ma mère ne voulait pas
je fasse du théâtre, peut-être parce que ma voix a mué
précocement et qu'y avait un décalage entre mon corps
plutôt frêle et ma grosse voix... mon grand
père ne voulait pas que je joue à cause des coups de feu... peut-être que j'ai tout bonnement encaissé que la comédie,
c'était trop dangereux.
15/04/2010
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m. à j. 21 /04/2010